Quantcast
Channel: YOL (routes de Turquie et d'ailleurs) » Internet
Viewing all articles
Browse latest Browse all 7

Censure drastique d’Internet et protection des familles et « enfants de » en Turquie

$
0
0

Censure Internet turquie 6 février

Dans la soirée du 5 février, la Turquie a franchi un pas de plus dans la restriction du droit de ses citoyens à être informés, créant l'émotion tant en Turquie qu'à l'extérieur du pays. Comme les médias l'ont abondamment relayés, le parlement durcissait drastiquement sa législation sur le contrôle d'Internet et donnait au gouvernement un pouvoir de censure semblable à celui de pays aussi démocratiques que l'Iran, la Chine ou l'Arabie Saoudite.

Internet n'a jamais été un espace de totale liberté en Turquie. A l'époque où je débutais mon blog, j'ajoutais systématiquement le lien vers la vidéo à destination des lecteurs de Turquie, si mon billet comportait une vidéo de la plateforme You Tube. L'accès de celle-ci leur a été interdit pendant plusieurs années. Un obscur tribunal avait pris cette décision à la suite de plaintes concernant quelques vidéos insultantes pour Atatürk. Plus tard Viméo et Blogger avaient subi le même sort. Mais les internautes de Turquie étaient tous devenus des experts dans l'art de contourner la censure en utilisant des proxys.

censure Internet turquie

Mais si l'amendement à la loi déjà existante est ratifié par le président Gül, il ne leur sera plus possible de la contourner aussi facilement . En effet, le système de censure devrait être beaucoup plus efficace et bloquera directement les URL ou l'adresse IP. L'internaute ne saura même plus que la page recherchée existe, car elle aura disparu des moteurs de recherche (actuellement il tombe sur un  avis d'interdiction)

Surtout les sites et les pages censurés ne le seront plus à la suite d'une décision de justice (pourtant déjà experte dans l'art de manier le ciseau), il s'agira d'une décision administrative, qui pourra être prise dans les 4 heures. Le TIB, une agence au sein du ministère des Transports et Télécommunications se transformera  un grand inquisiteur. Son directeur ne sera responsable que devant le premier ministre...et c'est un membre du MIT, les services secrets turcs,qui vient d'en prendre la direction.

Pour faire court, n'importe quel site pourra être censuré sur simple volonté du gouvernement. Il ne s'agira pas seulement de bloquer des sites pédopornographique, comme la loi le permettait  déjà au  TIB.

Les internautes quant à eux seront placés sur étroite surveillance : les serveurs d'accès devront conserver pendant 2 ans toutes les données les concernant, traces de navigation et e-mails. Données qu'ils seront contraints de fournir au TIB sur simple demande. Bienvenue dans l'univers de Big Brother.

Au pays des 33 millions de comptes Facebook et où Twitter fait aussi un tabac, de telles mesures font l'effet d'un brutal retour dans les années de censure militaire.

 

Il faut dire qu'avec le contrôle sur les médias de masse exercé par l'AKP, Internet est devenue une des principales sources d'information, voire la principale, pour beaucoup  en Turquie. C'est aussi sur des sites Internet comme T 24 que se sont réfugiés de nombreux journalistes limogés des journaux qui les employaient : « Nous ne regardons jamais les journaux TV, nous avons nos sites Internet », me disait cet été dans une petite ville d'Anatolie, un couple avec lequel j'évoquais l'attentat très meurtrier de Reyhanli, un attentat qui aurait tué 51 « de nos frères sunnites » avait déploré Recep Tayyip Erdogan, qui ne semblait pas s'étonner qu'une voiture piégée sache faire le tri entre Sunnites et Alaouites dans une petite ville où la population est à moitié alaouite.

Seuls les médias proches du pouvoir avaient alors été autorisés à se rendre sur les lieux.. Raison de plus pour qu'une large part de l'opinion mette en doute la version officielle attribuant cet attentat à un obscur groupuscule d'extrême gauche dont les membres sont principalement alaouites. D'autant que le groupe de hackers RedHack n'avait pas tardé à diffuser des révélations dérangeantes pour les autorités, reprises dans de nombreux médias, notamment en anglais, comme Bianet.

Yes we ban RTE

Depuis la révolte de Gezi au printemps dernier, Recep Tayyip Erdogan ne cachait pas qu'il avait les réseaux sociaux dans le collimateur. Mais ce sont les révélations de corruption qui ne cessent de se multiplier depuis le 17 décembre dernier, atteignant sa propre famille, qui ont précipité les choses. Le groupe AKP à l'origine de ces amendements a beau comprendre une proportion de femmes bien supérieur à leur représentation au sein de l'AKP (11 sur 27 députés) personne n'est dupe sur leur volonté de protéger «  vie privée », « familles » et « enfants ».

video censuree turquie

En tout cas les premiers sites censurés après le vote de la loi, semblent montrer quelles familles et quels enfants il s'agit de protéger : des vidéos divulguant une conversation téléphonique entre Sümeyye, une des filles d'Erdogan et le magnat du bâtiment Latif Topbas, contre lequel ont été lancées des investigation dans des affaires de corruption présumée, viennent en effet d'être censurées, révèle Erkan Saka sur son blog. J'ignore si toutes l'ont été : on en compte par dizaines.

On notera au passage, que les téléphones portables ont l'air aussi d'être l'objet d'une active surveillance...(pas seulement ceux  des milieux kurdes )

Sumeyye fille et conseillère de Recep Tayyip Erdogan

J'en profite pour informer Christine Okrent qui affirmait aujourd'hui dans l'émission « Affaires Etrangères », la Turquie la fin du miracle, (très intéressante au demeurant) sur France Culture, que seuls « les fils » des membres de l'AKP (notamment Bilal Erdogan) étaient visés par les affaires de corruption, que les femmes des familles « machos »sont rarement des potiches. Ce rôle est plutôt dévolu aux belles-filles. Sümeyye est à Tayyip Erdogan ce que Claude Chirac était à son père. Quant à Emine Erdogan, systématiquement présente aux côtés de son mari, elle serait aussi une femme d'affaires avisée.

Urla villa photo Radikal

Et selon les médias turcs, elles auraient toutes les deux été les heureuses bénéficiaires de très luxueuses villas dans la petite station balnéaires d'Urla, dans la presqu'île de Cesme près d'Izmir, en échange d'une levée du classement du site en zone protégée interdite à la construction. Des universitaires auraient été "récompensés" pour avoir cautionné ce déclassement. Quant au Vali (gouverneur) d'Izmir qui s'y serait alors opposé,  sa récompense aurait été une affectation à Diyarbakir. Dans la conversation de la vidéo, Sümeyye Erdogan exprime son souhait d'aménagements pour les villas.  L'opposition CHP a porté l'affaire devant le Parlement.

Mais à quoi cela sert-il de bloquer les investigations en cours en mutant des milliers de policiers et les procureurs trop curieux si les pièces des dossiers sont présentées à la vue de tous, se propagent et sont commentés sur Internet à vitesse grand V via les comptes Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux ?

Aux dernières nouvelles, les 8 villas incriminées devraient être détruites. Peut-être que les mosaïques romaines menacées par un projet de centre commercial du groupe BIM  (à qui appartient le terrain), dans la banlieue d'Izmir vont aussi être sauvées. C'est monsieur Topbas qui est en bandeau sur la photo...encore...

Atif Topbas mosaiques BIM  photo Zaman

Mais on peut quand même se demander si tous ces braves « enfants de » et leurs richissimes amis auraient pu faire tout ce qu'ils voulaient pendant si longtemps si certains s'étaient « réveillés » plus tôt. Il y a une époque, pas bien lointaine, où on prenait plutôt la défense de la « famille », quand d'autres pointaient du doigt leur immense enrichissement personnel, dans des médias aujourd'hui très critiques. Même si la rumeur, affirmant que dans les belles villas de la famille Erdogan à Usküdar les robinets étaient en or massif, était certainement fantaisiste, Samanyolu-haber aurait  pu déjà remarquer par exemple que ces très luxueuses constructions pouvaient être le signe qu'enrichissement familial et pouvoir étaient liés. Ce que tout le monde avait  déjà remarqué  en Turquie, mais bien peu de médias.

Les leaders de l'opposition et les opposants à la drastique censure Internet en appellent au  président Gül. Va-t-il apposer un véto à cette loi si controversée ? Il doit être bien embêté : en effet, s'il loupe rarement une occasion d'exprimer sa différence avec les méthodes et les propos musclés de son ancien ami Tayyip, il ne s'est jamais opposé jusque là frontalement à lui, de crainte peut-être de faire exploser le parti qu'ils avaient fondé avec Bülent Arinç. Mais même l'UE vient de mettre en garde les autorités turques. Il va donc sans doute, comme dans d'autres cas, faire traîner sa décision jusqu'aux limites légales. Mais il devra bien trancher ce choix cornélien.

Et en attendant, les internautes de Turquie ont décidé de manifester une nouvelle fois leur colère. Ce soir les TOMA vont donc aussi être de sortie dans les grandes villes du pays.

Taksim 8 février

En effet, ils sont bien de sortie.

Taksim 8 février. Erkan Saka

On peut suivre la manifestation à Istanbul sur le compte Twitter d'Erkan Saka, à qui j'ai emprunté cette image, ou sur son compte Facebook Internetime dokunma

Autres images de la manifestation du 9 février  ICI

  Et sur celui  de Toma  voici la petite histoire qui accompagne cette image :

-"ALO FATIH (allusion à  Fatih Saraç, propriétaire de la chaîne Haber Türk, dont le téléphone aussi était écouté)

-  Monsieur...

-En bande passante (journal TV) on écrit :" A Taksim, le peuple est pris d'affection pour les Toma"

- Vos  désirs sont des ordres, monsieur "


Viewing all articles
Browse latest Browse all 7

Trending Articles